3:04.38 - partie I

C’était la seule fin que je ne m’étais pas imaginée. J’avais de la misère à me retenir de sourire. Le seul scénario qui habitait mes pensées était celui du haut-le-cœur et des étourdissements qui frôlent la perte de conscience. Je me suis imaginé m’enfarger et tomber, faire une chute de pression et tomber, faire un coup de chaleur et tomber. L’appréhension de l’échec, de la souffrance, de la cassure, comme ils disent. C’est surtout ça qui m’habitait. C’est ça que je redoutais. Je ne soupçonnais pas l’euphorie, pas le kick dopaminergique, pas un sentiment profond de satisfaction. Pas un enthousiasme collectif contagieux. Mon cerveau n’avait pas envisagé l’après comme il s’est présenté réellement.

Quelques semaines plus tôt, j’ai complété mon inscription en ligne en prenant mon café et, au moment d’appuyer sur l’icône confirmant le paiement, j’ai eu les mains moites et une augmentation soudaine de mon rythme cardiaque. Une réaction de peur, de stress, de survie dans un monde où on n’a plus besoin de survivre. Assis sur mon divan tranquillement, un rayon de soleil levant dans face, au moment de confirmer un achat en ligne, mon corps ne fait pas la différence entre l’attaque d’une bête sauvage, la chasse d’un mammouth à la lance et l’inscription à une course de 1000 mètres sur une piste intérieure. 12 000 ans depuis notre dernière chasse au mammouth à la lance et mon instinct kick l’adrénaline dès qu’il peut. Sur l’échelle temporelle de l’évolution du système nerveux, j’imagine que c’est vite passé, 12 000 ans. Je clique sur achetez et mes pupilles se dilatent, mon pouls s’accélère, mes mains s’humidifient et ma bouche s’assèche.

Digression #1 : Quelle drôle de réaction du corps humain, pareil. L’homo sapiens a 300 000 ans de développement et d’adaptation pis quand je suis stressé mon corps prend l’eau de ma salive pis la criss dans mes mains. Yeule sèche, mains moites : bonne course. Mon corps fait exactement pareil quand j’ai une lecture de poésie qui me stresse, quand je sais que se cacheront dans la salle, sous les projecteurs qui m’aveuglent, des artistes que j’admire et devant qui je veux pas avoir l’air cave. Dans ces moments précis pendant lesquels j’ai vraiment besoin de ma salive pour, hypothétiquement, mettons, lire un texte, mon corps pogne toute l’eau de ma salive pis la met dans mes mains. Merci corps - vraiment – exactement ce dont j’avais besoin. Bin smatt. Perfect reaction. Fin de la digression #1.

Cette malédiction des réactions démesurées de mon corps m’accompagnera on and off jusqu’à la ligne d’arrivée. De mon inscription à mon dernier pas dans la course, chaque fois que j’y pensais, le stress s’emparait de moi. Vraiment plus que pour une lecture de poésie. Je comprenais pas de quoi j’avais peur. J’en ai même parlé à mon psy parce que j’étais curieux, je voulais qu’il m’aide à comprendre.

J’imagine Crépeau lire ça pis dire quelque chose du genre voyons criss les maudits artistes ils passent bin trop de temps a essayer de comprendre leurs émotions, fa juste fermer ta yeule pis court plus vite! Pis j’imagine à brûle pour point Kenny lui répondre Cocorico, Marc, esti.

Mais il vient d’où, ce stress, cette peur? Peur de l’échec, peur de faire rire de moi, peur de ne pas être assez bon aux yeux de mes amis, de ma blonde, de mon père? Peur d’arriver en dernier? Y’a rien de tout ça qui serait grave. Quand je dresse la liste de toutes les choses qui m’inquiètent et que je ne réussis pas à identifier rationnellement ce qui me hante, l’inquiétude disparait. Le problème revient quand je ne prends pas le temps d’y penser et de me rassurer. Le jour de la course, j’ai le piton du fight or flight collé. Pas moyen de rationaliser ça. Quand je me sonde au plus profond de mon être, je me dis que j’ai sûrement peur d’avoir mal. J’ai la yeule sèche parce que j’ai peur d’avoir mal. Je peux pas m’empêcher de penser à mon ancienne conjointe, maintenant grande amie, Sarah. J’en parle pas souvent parce que je trouve que c’est facile en esti de tomber dans le pathos, mais sans aller trop dans les détails, pendant un an Sarah a eu toute une trâlée d’opérations majeures pour l’aider à combattre un cancer particulièrement agressif. Chaque fois que je m’observe avoir peur d’avoir mal, je la revois faire ses valises pour un énième séjour à l’hôpital. Je vois son courage dans ses gestes, je me rappelle ses soupirs et la légitimité de ses craintes. Ça m’aide à reprendre mes esprits. J’aurai pas si mal que ça, pis j’ai choisi d’avoir mal. Cette douleur en particulier est un privilège. Le stress part.

Rendu au centre sportif où l’évènement se déroule, je croise enfin mon ami Bastien. Il est tout sourire : ça faisait longtemps que j’avais pas été fébrile de même. La fébrilité. C’est peut-être ça le nom de l’affaire qui me fait aller aux toilettes chaque deux heures depuis ce matin. Bastien renchérit c’est tellement nice d’avoir une occasion de se croiser dans ces évènements-là toute la gang, pis de laisser nos tripes su’à track. On peut bin dire qu’on court pis logger du millage autant comme autant, c’est ces évènements-là qui comptent dans la communauté, pas ton Strava. C’est peut-être ça, dans le fond, qui me fait peur. Laisser mes tripes su’à track. J’en ai besoin de mes tripes, je peux pas les laisser nulle part. C’est effrayant.

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