lune flottante

[il y aura parfois, sur ce blogue, des textes éliminés de projets littéraires plus grands. bienvenue dans le cimetière de mes chéries de l’expression kill your darlings. ce texte est une chérie sacrifiée]

Je passe beaucoup de temps à attendre la grande révélation.

Je me paye une entrée au spa, je vais dans le sauna à l'eucalyptus, dans la vapeur d'huile essentielle et les gouttes de sueur se forment rapidement sur ma peau. Je ferme les yeux, je me dis que je pourrais être plus namasté, croiser les jambes dans la position du lotus, je rapporte les jambes près de mes fesses, je force un peu pour placer mes jambes, ça marche pas pantoute, je me place à peu près pour que mes jambes tiennent croisées comme à l’école primaire, je suis assis, je ferme les yeux, j'attends la boule de chaleur dans mon ventre. J'attends que quelque chose se forme en moi, que des racines métaphoriques m'ancrent au sol sous mes fesses, que mes shakras s'enlignent - enfin - après des années de shakras su’l camp, mais rien. Rien ne se passe. Pas de chaleur, pas d'éclat de lumière, pas de boule dans le ventre, pas de troisième œil. J'ai une crampe dans le mollet droit pis le nez qui coule à cause de la vapeur d’huile essentielle. J’ai chaud en criss, pis pas de révélation.

Le lendemain je trouve un guide spirituel sur Youtube. Il offre des cours de méditation et de la théorie sur la pleine conscience, il parle avec un accent indien, il a le charisme d'Osho, je me dis – enfin - je suis sauvé : je l'écoute. Trois vidéos d'une heure chaque, c'est les extraits d'une conférence qu’il a donné dans des pixels gros comme des 10 cents, ça parle de l'égo, de l'humilité, de la paix, du capitalisme, de la consommation – enfin - je suis presque libéré de tout je me dis, mais la révélation arrive jamais. Pas de boule de chaleur. Pas de racines. Le soir je m'installe à mon bureau dans la nuitte noire de décembre, j'allume ma petite lumière de sel, je mets un disque sur mon tourne-disque, sur le tourne disque que j'ai acheté pour l'authenticité du son, pour la profondeur du grain, pour l'expérience immersive totale dans le quatrième art, pour me libérer du poids de mes décisions, du fardeau de mon passé, j'écoute la voix de Frank Sinatra, de Nina Simone, de Eddie Veder, rien ne me libère, y’a pas de lumière, pas de boule de chaleur dans mon ventre. Je regarde une autre vidéo sur YouTube, c'est un dude, il achète des fidget toys sur Amazon et les review en se posant la même question à répétition is it bringing me any joy? Je veux de la joie. Je veux être heureux moi aussi. Il recommande des jouets, des jouets qui servent à passer le temps au bureau, à s'occuper les mains et l'esprit, il recommande des jouets, mais tout ce que je veux c'est qu'il recommande de lâcher sa job, de lâcher son bureau, de changer de vie, de vendre sa maison et de partir. Personne ne recommande jamais de changer de vie. Tout le monde recommande toujours des fidget toys à 35 piastres de chez Amazon. Un stylo qui flotte dans le vide, un cube d'engrenages montés sur bearings, une lune qui flotte dans le vide et qui éclaire.

La lune flotte par-dessus sa base grâce à un champ magnétique généré par un électro-aimant. Quand la lune est pas pluggée dans le mur, elle flotte pas parce que l’électro-aimant est pas alimentée, ce qui fait en sorte que la lune se colle sur sa base. Elle flotte pas dans le centimètre de vide qui nous confond. Pas dans le centimètre de vide que je fixe en me disant que ma vie se cache peut-être dans l’étincelle d’une allumette. L'espace entre la lune qui flotte et sa base de faux bois, c'est un acte manqué. Le vide c'est ce qui nous habite après avoir acheté une lune qui flotte à quatre-vingt piastres sur Amazon. Une lune qui flotte et qui apporte de la joie quatre sur dix. Je vais sur Amazon, je trouve ladite lune qui flotte, je ne la commande pas, j'écris un review : une étoile - this floating moon didn't bring joy. Ça ne me fait pas sentir mieux. Je commande un pad thaï, avec mon pad thaï j'ai un biscuit chinois qui m'annonce que je ne devrais pas attendre de signe. Pour une énième fois ce n’est pas une révélation. Le 15 janvier mon Co-Star m’annonce you will not fall apart today. J’ignore si c’est une bonne nouvelle ou pas, ça me rassure pas pour deux cennes, je vais sur YouTube, je vois une vidéo d’astrophysique, j'apprends qu'il y a des bonnes chances qu'on vive à l’intérieur d’un trou noir et que notre univers ne soit qu'un univers dans plein d'autres univers. Ça a quelque chose de vraiment très rassurant.

Enfin. Je soupire. Ça me fait sentir mieux.

On n'est pas les seuls crétins y'en a d'autre c’est sûr, statistiquement y’en a d’autres, c'est soulageant. Ça me rappelle une blonde que j’ai eu elle faisait beaucoup d’anxiété en tout cas plus que moi ou au moins pas en même temps quand elle faisait des crises je lui flattais les cheveux je lui disais notre peine est pas si pire dans toute l’histoire de l’humanité dans toute l’univers chaque étoile est un soleil t’as-tu pensé comment de toute façon on va mourir fa’que en attendant aussi bin pas trop s’en faire. Ça marchait. Elle arrêtait de pleurer elle me disait ça fait du bien ce que tu me dis. Avec le recul je réalise que ce qui faisait du bien c’était juste d’être là, c’était juste flatter les cheveux pis parler, c’était pas mes théories pseudo-rassurantes de livre d’astrophysique vulgarisé.

On n’est pas vraiment de la poussière d’étoile. Malgré toutes mes tentatives je n’ai pas encore trouvé ce qui me fait sentir bien, ce qui me fait pousser de la lumière dans le ventre, ce qui enligne mes shakras mélangés. Je sais pas trop comment m’en sortir : la nature, la pêche, la poésie, l’écriture, tout ça n’est pas une grande révélation c’est juste un passe-temps.

Tout le monde me le dit.

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