l’écriture et l’intelligence artificielle

Note de MOÉ : dans ce texte je mêle « IA » et « AI » à tour de bras. C’est mon humanité. J’espère que tu m’en tiens pas trop rigueur. Les deux ça veut dire ChatGPT.

Je veux écrire ce texte depuis quelque temps. Avec les semaines mes idées se raffinent et s’égarent. Ça risque d’être un texte un peu éparpillé, mais mieux vaut un texte éparpillé que pas de texte du tout : les idées existent mieux à l’extérieur de ma tête.

J’ai récemment découvert l’artiste Teenage Witch. Elle sera en show demain soir (le 22 février) avec Palissade à La Petite Boîte Noire. J’ai écouté un peu son dernier album, j’ai très hâte de la voir en show, mais pour quelque chose d’encore plus important que sa musique : j’ai hâte de rencontrer cette artiste qui a littéralement floodé Spotify d’albums et de chansons. Quatorze albums en 2024. En moyenne une douzaine de pistes par album. Juste trouver des titres pour toutes ces chansons là ça me déborderait. Juste penser à essayer de trouver des titres pour toutes les tracks me rend anxieux. J’aime l’idée de l’hyperproduction. Faire des chansons comme on prend trop de photos. Écrire des poèmes comme on fait des chansons. L’idée de produire beaucoup me plaît pis me gosse en même temps. C’est un dilemme, un équilibre. D’un côté y’a « pas de texte » de l’autre y’a « trop de textes », but is there such a thing as « trop de textes »? J’aime l’idée que quelqu’un vibre et se retrouve dans les mots d’un texte que quelqu’un d’autre haït. Le fondement de la poésie n’est-il pas la réminiscence? (bon, c’est peut-être l’universalité aussi, mais criss que c’est snob l’universalité). On le voit souvent dans des recueils de poésie: les même textes ne résonnent pas de la même façon avec tout le monde. Évidemment y’a les textes qui sont plus unanimes, comme les tounes sur les albums. Celles qui passent à la radio, les poèmes que les gens apprennent par cœur et qu’ils gueulent en état d’ébriété sur la Well. Et si je me défenestre à chaque poème c’est que je connais l’importance de sortir prendre l’air. Il faut trouver l’équilibre entre trop de textes et pas assez de textes. J’aime l’idée de ce blogue parce que j’ai pas besoin de l’équilibre. En fait, ce blogue me sert bien pour pouvoir juste écrire. J’ai des croûtes à manger en esti avant que ce soit trop je pense, mais j’aime l’idée de pouvoir écrire pis de le publier quelque part. Ça m’aide à me libérer de la pression que je peux me mettre, l’espèce de « chaque texte est une trace ». Oui pis non (anyway pour l’instant personne sait que j’ai un blogue). Je peux écrire ici des choses qui vont mal vieillir, des choses garrochées, des idées partielles ou approximatives. C’est ce que permet le volume, la densité, l’inondation : dans la multiplicité des propositions, tout devient un peu flou. Y’a des choses que certains vont aimer, d’autres que quelques-unes vont détester. Tout ça coexiste. C’est Teenage Witch qui m’a rappelé ça. Elon Musk aussi. C’est l’équilibre fragile. Dans la pluralité des offres de Teenage Witch, c’est sûr que je vais finir par trouver une toune qui me fait tripper. Comme dans les 36 recueils de poésie de Patrice Desbiens : forcément on va trouver au moins un poème qu’on aime, tsé. Le problème (si ç’en est un) c’est que c’est dissout. Comme les calls ultra-fascistes de Musk sur X. Dans le tsunami de ses publications, les prises de position d’extrême droite se diluent, mais elles sont là. On peut les oublier ou ne pas les voir, mais ces publications là se rendent à celleux qui sont à l’écoute de ces messages. L’analogie est peut-être boiteuse. Je parle ici de ceux qui produisent beaucoup. Je dis que c’est pour le meilleur et pour le pire. L’opposé c’est ceux qui ne produisent jamais. Un livre aux 10 ans. Un album aux 15 ans. Esti que ça gosse les artistes que t’aime qui publient pas assez souvent. FAITES DE L’ART. (mais je sais tous les sacrifices que ça demande)

Avoir un blogue, écrire des livres, produire des toiles, faire des tounes, tout ça est vital et important. Tout ça s’inscrit dans un processus créatif. Je vais parler d’écriture à partir d’ici parce que c’est plus mon truc : je connais mieux ça. Écrire. La menace de l’IA qui plane. Les language models. Est-ce que ça va remplacer l’écriture? Est-ce que ça va flooder le marché? Pour qui? Pourquoi? Comment? Est-ce qu’on va être capable de voir la différence entre un texte produit par un AI et le fruit de l’imagination humaine? Qu’en est-il du test de Turing? (spoiler : je ne parlerai pas du test de Turing).

En septembre passé avec mon ami Alexandre Dostie on s’est ramassé dans un chalet pour une petite retraite d’écriture : le genre d’affaire de la haute bourgeoisie élitiste intellectuelle. Un moment donné on a parlé du AI pis ça a dérapé pas mal. Dire qu’Alex pis moi on n’avait pas la même vision du AI serait une litote. Cette discussion me trotte en tête depuis ce temps-là. En gros, ma posture c’était que le AI n’était pas réellement une menace pour notre travail d’écrivain. Qu’on pouvait l’utiliser comme un outil et qu’il fallait le faire. J’ai fait l’erreur de donner un exemple très boiteux pour soutenir mon point. Mettons que dans ton texte t’as besoin de décrire un coucher de soleil, mais ça te tente pas d’écrire ça, tu pourrais demander à Chat GPT de te pondre un texte pis ça te permet juste de te concentrer sur l’essentiel de ce que tu veux écrire, l’architecture du récit. Calvaire ça a pas passé. Quel manque de rigueur de ma part, Dosti a pas laissé passé ça (et je l’en remercie): si y’avait UNE chose importante dans un texte c’était EXACTEMENT le boutte ou on décrit le coucher de soleil. C’est PAR-LÀ que l’art se passe. On peut pas sous-traiter l’art à une colisse de machine. C’est clair, et sincèrement, dès qu’il a dit ça, j’étais d’accord. J’ai tenté de me justifier de mon exemple boiteux. Je ne pense pas particulière à cet aspect de la discussion depuis des mois. Il avait raison. J’ai donné un exemple de marde. Ce à quoi je pense depuis des mois c’est « dans quel contexte utiliser un AI c’est chill? ». (spoiler : la réponse ne se trouve pas dans ce texte).

Mon point avec l’écriture et le AI est celui-ci : mes amis tech bros disent tous la même chose : « avec assez de données pour entraîner le AI, c’est sûr qu’il va finir par être capable d’écrire comme toi pis que personne va le savoir. On n’a plus besoin des écrivains. Anyway c’est une job à peu de valeur ajoutée ». (Le bout de la job à peu de valeur ajoutée je l’ai inventé, j’ai aucun ami qui m’a déjà dit ça. Le reste c’est vrai). Tout le monde dit que le AI peut nous remplacer, mais moi j’ai quelque chose à répondre à ce statement : bullshit. Bull-fucking-shit. Sérieusement. Voici quelques raisons qui me permettent de dire ça.

D’abord, ça prend un trop gros data set pour apprendre à l’IA à écrire comme nous. Pis là je dis comme nous et c’est lourd de sens et complètement démuni d’humilité. C’est important comme nuance. Comme nous, les gens qui écrivent et qui prétendent avoir une voix ne serait-ce que légèrement artistique/unique. À l’Université j’ai eu des cours de rédaction technique. Y’a des règles. Les tournures de phrase, les formulations, c’est cohérent et encadré. Chat GPT est très fort en rédaction technique. Même chose pour la rédaction juridique. Les règles sont claires. Ça s’apprend, ça se copie, ça s’imite.

Écrire comme nous ça s’apprend pas par un AI. En tout cas, ça s’apprend pas si on écrit vivement avec la prétention de contrer l’ennuie dans l’écriture dont peuvent se prémunir les gens qui s’autoproclament des zartiste. Vous comprendrez où je veux en venir : ce texte est une ode à la créativité.

T’as bin beau de flooder internet avec des textes tant que tu veux. Tu peux publier 35 recueils de poésie. Tant que tu te réinventes, tant que tu es unique, tant que ta proposition évolue avec toi, t’es à l’abri. Ça veut pas dire que tu es inimitable, ça veut pas dire que tu es un petit flocon de neige unique, mais quand même un peu. Ça veut surtout dire, je pense, que t’es pas plate. T’as pas le droit d’être plate. C’est Mathieu K. Blais qui m’a dit ça je pense : t’as le droit de tout faire, mais t’as pas le droit d’être plate. Un IA c’est plate. Les textes de ChatGPT sont plates à mort. Il faut être unique. Pis je pense aussi que dans cette approche, il faut être radical, pis que ça implique peut-être des trucs qui vont gosser certaines personnes c’est-à-dire les genre qui aiment la cohérence c’est-à-dire les gens qui sont très proche des robots. Je pense que la créativité radicale ça implique une notion d’imprévisible, d’incohérence, de surprise, d’humanité. Avec mon éditeur on parle souvent de cohérence. C’est quelque chose qui m’échappe pis je dois vous avouer que je suis en train de bâtir un argumentaire autour de ça : mon incohérence, ça me permet de ne pas me faire copier par un Language Model. Pourquoi le « ne » de la négation est là, mais pas là? Pourquoi ici c’est en prose pis là en vers? Pourquoi ici c’est esti pis là c’est ostie? (non c’est vrai que ça gosse que j’écrive jamais estie de la même manière, désolé Max). Pour le reste, y’a quelque chose de très humain. Moi aussi j’haïs ça que ce soit incohérent, mais c’est comme ça que je le lis dans ma tête. Dans ces mots-là pis la façon de les écrire se cache toute mon humanité. Dans mes textes y’a les sons de l’oralité, mais pas toujours, parce que tout ça se brasse dans ma tête. Des fois la voix que j’entends c’est celle de mon grand-père pis d’autres fois c’est genre Guy Bertrand. Ça varie, ça bouge, ça me rend intouchable des robots de la langue (I wish. Je pense que c’est quand même vrai au moins tant qu’ils utilisent les algos qu’ils ont en ce moment).

Pendant que j’écris ces mots, je pense à tous les angles morts de ma réflexion. À toutes les attaques possibles (et surtout à celles impossibles). Je ne pense pas que tout ce que je dis est vrai. C’est une piste de réflexion. Je pense que la cohérence dans l’écriture est importante et que les lecteurices ont besoin de codes auxquels s’agripper, se rattacher, mais c’est peut-être aussi juste de la projection, parce que je suis peut-être moi aussi un peu un robot. Je sais pas dans le fond, mais clairement il faut se réinventer. Il faut évoluer en tant qu’humain et en tant qu’artiste. J’ai longtemps admiré la cohérence chez les artistes, je vénérais la constance dans le style, la permanance dans la signature, la loyauté dans le temps. Aujourd’hui c’est quelque chose qui m’attire moins, beaucoup moins, quelque chose que je méprise même parfois. Le style doit évoluer. Mes artistes visuels préférés évoluent, font des séries puis changent, se réinventent. Même chose pour les musiciens. Mon groupe préféré s’appelle La Dispute. C’est du post-punk. En 2010 c’était du emo-core, puis c’est devenu du hardcore, puis du post-hardcore, puis du post-punk, puis ça a flirté avec la musique électro, bref, c’est un band qui se réinvente, qui évolue, qui bouge, qui créer. C’est un band dont le prochain album est imprévisible. La voix de Jordan Dreyer est la seule constante. Des sons poignants, mais qui se réinventent. La voix de Jordan et l’innovation, la créativité radicale. Aucun IA pourrait prédire/écrire le prochain album de La Dispute. Le band lui-même n’a sûrement aucune idée de leur prochain projet. On doit faire la même chose dans l’écriture.

Écrire beaucoup et évoluer avec notre écriture.

Avoir un blogue c’est aussi une preuve de mon humanité. Je suis pas un NPC. J’écris parce que c’est obligatoire pour pas que j’implose. Tenir un blogue est pour moi un acte créateur, l’écriture est nécessaire.

 

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